Je verrai toujours vos visages

Je suis plus comme avant, ma vie n’est plus comme avant. Et si je résume avant, elle était mieux.

Résumé :

Après la sortie de "Pupille" en 2018, la réalisatrice et scénariste Jeanne Herry cherchait un nouveau projet. Deux sujets l'intéressaient : le fonctionnement du cerveau et le milieu de la justice. Sur ce dernier point, elle affirme avoir toujours été passionnée par les faits divers, les procès, les grandes figures du banditisme, les ténors du barreau, etc. Par hasard, elle tombe sur un podcast qui parle de "justice restaurative" et cela l'intrigue, puis la captive. Elle établit un lien avec son autre sujet, le fonctionnement du cerveau, en l'occurrence sa réparation. Son sujet sera alors trouvé avec la justice restaurative, qui, selon elle, offre un cadre idéal pour, comme elle le dit : "écrire un film fort, avec des enjeux très relevés, des scènes d’action psychologiques, des espaces de dialogues ; tout ce que j’aime.".

Avant et pendant l'écriture, Herry se documentera beaucoup en effectuant des recherches, mais aussi en rencontrant des personnes directement liées à la justice restaurative. Pour autant, elle n'oubliera pas son objectif principal, qui est de faire du cinéma et non un documentaire. Lors d'une de ces rencontres, l'un de ses interlocuteurs lui dira ceci : "L'objectif de la justice restaurative, c'est la libération des émotions par la parole". C'est cette libération que la cinéaste voulait mettre en scène. Pour sa documentation, elle ne participera pas directement à une séance, car l'intérêt de ces dernières est que les personnes puissent s'exprimer en toute sécurité et que rien ne soit répété. Elle pourra tout de même assister à la formation d'animateur et à celle de médiateur.

Pour l'écriture du scénario, l'un des objectifs était de le rendre dynamique. Les personnages, étant généralement assis tout au long du film, devaient exprimer le dynamisme à travers leurs visages et leurs voix. L'un des défis auxquels elle a été confrontée était de tisser les deux histoires que raconte le long-métrage. D'ailleurs, l'une de ces histoires en comporte plusieurs en son sein avec le cercle. Herry puisera ses principales inspirations dans la série "En thérapie" d'Éric Tolédano et Olivier Nakache, diffusée sur Arte, ainsi que dans "Douze Hommes en colère" de Sidney Lumet.

Pour le choix du casting, certains personnages étaient écrits pour certains acteurs et actrices. C’est le cas pour Miou-Miou, Élodie Bouchez, Gilles Lellouche, Leïla Bekhti et Jean-Pierre Darroussin. Elle a pensé très tôt à Birane Ba pour l’un des rôles après avoir travaillé avec lui sur un spectacle et l’avoir trouvé inspirant. Ensuite, seront choisis : Suliane Brahim, Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah, Fred Testot, etc. Tous avaient leurs petits défis, notamment le texte très fourni que leur avait donné la réalisatrice. Leïla Bekhti aura même le droit à un monologue de neuf minutes. Malgré le sujet lourd du film, le tournage s'est bien passé, la distribution ayant pris du plaisir à jouer ensemble et à s’encourager mutuellement.

À sa sortie le 29 mars 2023, "Je verrai toujours vos visages" remporte un franc succès auprès des critiques et des spectateurs. Sur Allociné, la note moyenne des 35 critiques est de 4,1 sur 5, tandis que plus de 9 mille spectateurs offrent une note moyenne de 4,4. Ce ne sera pas uniquement un succès critique, mais aussi un succès commercial. Avec un budget estimé à 8,5 millions d’euros, le film franchit la barre symbolique du million d’entrées.

Mon avis :

Après "Vermines", il est temps d’enchaîner avec un autre film français qui a fait parler de lui en 2023 : "Je verrai toujours vos visages". J’avais raté sa sortie en salle et j’avais hâte de me rattraper. Maintenant que c’est chose faite, que vaut-il ? Est-ce une nouvelle réussite ? J’arrête le suspense très vite, oui, c’est une réussite. Pour moi, l’une des raisons de son succès réside dans sa distribution cinq étoiles, avec Adèle Exarchopoulos, Gilles Lellouche, Leïla Bekhti, Miou-Miou, Fred Testot, Dali Benssalah et Birane Ba. Je ne connaissais pas les deux derniers, mais c’était une agréable surprise, je les trouve très bons. Parmi les plus connus, c’est Exarchopoulos qui ressort le plus à mes yeux. Une fois n’est pas coutume, elle prouve à quel point elle est forte, je l’adore. En plus de cela, elle n’a pas l’histoire la plus facile à incarner et à suivre. Après "Fumer fait tousser", j’ai découvert un autre Gilles Lellouche, un Lellouche beaucoup plus touchant et vulnérable. C’est l’une des révélations pour moi. De son côté, Leïla Bekhti, tout comme Exarchopoulos, montre une fois de plus tout le talent qu’elle a, tandis que Fred Testot est un poil méconnaissable dans ce genre de rôle. J’admets que personnellement, je ne l’avais pas revu depuis le SAV ou Burger Quizz, c’est dire. Les performances du casting sont si fortes que l’on n’a même pas besoin de forcer pour ressentir de la peine ou être en colère avec leur personnage. Ce film est pour moi l’occasion de découvrir la "justice restaurative" que je ne connaissais absolument pas et qui est une idée qui a le mérite d’être intéressante. Même si certaines histoires sont difficiles à écouter, elles n’en restent pas moins passionnantes. Jeanne Herry a l’intelligence de ne pas faire de voyeurisme ni d’effet choc pour ces histoires. Nous ne les suivons que par la manière de raconter des personnages, et c’est largement suffisant pour accrocher. Pas besoin de racolage ici.

Parlons peu, parlons bien. Un autre aspect qui contribue au succès du film, aux côtés de la distribution, c’est son écriture. C'est clairement l'une de ses grandes forces, que ce soit pour les histoires, les personnages, et surtout les dialogues. On nous offre une très bonne introduction qui nous prépare bien (tout comme les personnages) à la justice restaurative et aux histoires horribles que nous pourrions entendre. Nous sommes confrontés à des personnages tristes, en colère ou perdus, souvent les trois à la fois. Les échanges sont parfois durs, mais nécessaires pour l'apprentissage des personnages, mais aussi du nôtre. Les différents points de vue sont intéressants et à aucun moment le film ne semble porter des jugements de valeur. Un autre point intéressant à soulever c'est qu'il ne hiérarchise pas leur vécu ; ce n'est pas un concours pour savoir qui a l'histoire la plus difficile ou qui a le droit de se plaindre finalement. Grâce à cela et à l'interprétation du casting, on s'attache facilement aux personnages. Le film a le bon goût de prendre son temps, que ce soit avec ses histoires en général, mais aussi avec la présentation des personnages et de leur récit personnel. On prend le temps de tout découvrir, cela fait du bien. J'ai déjà souligné l'interprétation des acteurs et actrices, mais les dialogues contribuent grandement à cette réussite. L'écriture d'Herry sur ces derniers est parfaite. Un film de ce genre repose énormément sur ses dialogues et ses interprètes. Heureusement, ici, tout est au diapason à ce niveau. Mais qu'en est-il du rythme ? Un long-métrage avec autant de dialogues et qui prend son temps doit pondre un film long et indigeste ? Que nenni ! L'enchaînement des scènes, des histoires et des dialogues est si bien rythmé qu'on ne s'ennuie pas une seconde. Il est temps de parler de choses moins en vue dans ce film, en commençant par la musique de Pascal Sangla qui n'a rien de marquant ou de juste notable. C'est le calme plat à ce niveau, un peu comme la réalisation qui est somme toute classique. Nous sommes confrontés à des champs contre-champs lambda qui ne servent uniquement le récit et les dialogues. Nous avons peu d'inventivité, même si j'apprécie les plans vus du plafond (vendus par certaines affiches) et les inserts efficaces sur le bâton de parole au début.

Voici mon avis sur "Je verrai toujours vos visages" de Jeanne Herry, un film qui brille par son écriture et ses interprètes. Il peut parfois être dur émotionnellement, mais on comprend très vite le besoin d'explication des victimes. Même si, dans un premier temps, je me suis dit que les animateurs et médiateurs sont naïfs, je les trouve finalement exemplaires. Nous sommes face à une œuvre avec un beau message d'espoir, je suis content de ne pas avoir fait face à un film pessimiste, ça fait du bien. Voir l'entraide entre les personnages est magnifique à voir, sans pour autant être tir larme. Décidément, après "Vermines", nous sommes à nouveau en face d'un autre film français très réussi ! Il mérite tellement son succès en salle ! Je vous le conseille vivement, il est très loin du cliché du film d'auteur qui peut parfois être ennuyeux. Personnellement, je n'ai pas vu le temps passer.

(Rédigé le 14/01/2024)

Notes :

  • Réalisation : 3/5
  • Casting : 5/5
  • Son : 3/5
  • Écriture : 5/5

Points positif et négatif :

Positif Négatif
La distribution incroyable Une réalisation et une musique très classique
Les dialogues parfaits
Un film bien rythmé et qui prend son temps
La découverte de la justice restaurative

Note finale

Note finale du film : 4/5