I think it's nice that we share the same sky.
Résumé :
Après avoir écrit et réalisé trois courts-métrages : "Tuesday", "Laps" et "Blue Christmas", Charlotte Wells franchit le pas et réalise son premier long-métrage, "Aftersun". Ce dernier s’inspire de son premier court, qui traitait déjà de la relation entre un jeune parent et sa fille. Pour elle, son film est "émotionnellement autobiographique". Elle réfléchissait déjà au sujet de son premier projet en 2015 alors qu’elle était encore à l’école de cinéma. L’idée de situer son film pendant des vacances viendra plus tard, lorsqu’elle regardera un vieil album photo dans lequel il y a une photo d’elle avec son père en Espagne. La véritable écriture commencera en 2019 et pour s’inspirer elle regardera du côté de son enfance, mais aussi du travail de Céline Sciamma, notamment avec "Tomboy".
Pour ce film, deux rôles majeurs sont à pourvoir : celui de la fille (Sophie) et celui du père (Calum). Pour le premier, environ 800 personnes répondent à l’annonce de casting et 70 jeunes filles seront auditionnées. Pour les besoins du projet, la production recherche "une enfant au style garçon manqué, entre 10 et 12 ans". Le casting se déroulant durant la période de confinement liée au Covid-19, la mère d’une jeune fille répond à l’annonce pour occuper cette dernière. Cette jeune fille passera les étapes et sera choisie, car la réalisatrice fut conquise par le côté enfantin et maladroit de la jeune actrice qui n’a à son actif que quelques événements scolaires. L’heureuse élue s’appelle Frankie Corio. Pour le rôle du jeune père, Paul Mescal était déjà envisagé après sa performance dans "Normal People". Il avait dû décliner dans un premier temps faute de temps, mais il a finalement pu mettre la main sur le scénario et s’entretenir avec Wells. Il embarquera finalement dans l’aventure, ayant de l’empathie pour le personnage de Calum. Pour établir une certaine complicité entre eux, ils passeront deux semaines de vacances ensemble (avec la famille de Corio) avant le tournage. Celui-ci se déroulera de juillet à août 2021 en Turquie, avec des horaires aménagés en raison du jeune âge de l’actrice. Le compositeur anglais, Oliver Coates, sera choisi pour composer la bande originale.
Aftersun aura le droit à une avant-première mondiale au Festival de Cannes de 2022 où Charlotte Wells sera nominée pour la "Caméra d’Or". À sa sortie, il sera largement salué pour sa réalisation, son scénario, sa cinématographie, ses images et la performance du duo Corio/Mescal. Il sera nominé dans de prestigieuses cérémonies, telles que les Oscars (Paul Mescal pour le meilleur acteur). Il recevra le Prix French Touch lors de la "Semaine de la Critique" de Cannes et Wells recevra le prix pour une première œuvre aux BAFTA. Le film sera désigné comme l’un des meilleurs films de 2022 par le National Board of Review et par Christopher Nolan lui-même, le qualifiant de "film magnifique". Sur Rotten Tomatoes, le film reçoit la certification "Fresh" avec une note de 96 % pour 243 critiques et 81 % pour plus de 1000 spectateurs. Sur Metacritic, il reçoit la certification "Must-See" et une note de 95 sur 100 pour 46 critiques. Sur Allociné, les 32 critiques lui donnent 4 sur 5, tandis que plus de 2000 spectateurs lui donnent 3,7 sur 5. Aucun budget n’est communiqué, mais le film a rapporté 8 millions de dollars dans le monde et a cumulé 133 mille entrées en France.
Mon avis :
Parlons d’un film indépendant qui me faisait beaucoup envie à sa sortie, "Aftersun", le premier film de Charlotte Wells. J’ai récemment appris qu’il était l’un des films préférés de Christopher Nolan, avec "Past Lives" (que j’ai très envie de voir aussi). Le film d’aujourd’hui m’avait intrigué à l’époque par son léger synopsis que j’avais lu, ses posters et son casting, avec un Paul Mescal qui monte en puissance dans l’industrie. Commençons justement par lui, que vaut Mescal ici ? Eh bien, il est tout simplement très bon dans son rôle. Il est parfois tout en retenue et quand il se lâche, il peut faire mal au cœur. Il est parfait dans le rôle du père bienveillant qui cache quelque chose qui le pèse. Malgré la bonté qu’il projette, on sent qu’une sorte de colère l’habite à certains moments. Il peut être très renfermé, notamment au niveau des sentiments, mais heureusement sa fille, Sophie, est là pour le sortir de sa coquille et c’est beau. Au niveau de la distribution, j’ai justement une préférence pour la jeune actrice, Frankie Corio, que je découvre, comme beaucoup, avec ce film. Je la trouve très forte, elle joue une jeune Sophie toute mignonne, pleine de douceur, mature sur certains sujets et pleine de vie. Avec toutes ses qualités, ça n’empêche pas qu’elle semble ne pas se sentir vraiment à sa place, peu importe l’endroit ou les personnes qui l’accompagnent. J’ai adoré suivre son aventure. Wells est une réalisatrice écossaise qui a choisi une jeune actrice de la même nationalité. J’aime bien cet aspect, ça semble anodin, mais je trouve que ça facilite l’immersion dans l’histoire des personnages, on y croit plus facilement. Pour moi, ça ajoute vraiment un plus. L’une des grandes forces d’Aftersun, c’est son duo père/fille très attachant. Ils ont une complicité que j’aime beaucoup. Le père demande souvent si sa fille va bien sans qu’il n’y ait quoi que ce soit d’inquiétant, ils se chambrent entre eux, ils discutent d’amour avec bienveillance et sans jugement, leurs discussions sont touchantes. Tout n’est pas rose évidemment, la pauvre Sophie se retrouve seule à chanter sur scène devant un public à cause de Calum. Même si je la trouve courageuse, j’ai eu de la peine pour elle, mais j’ai aimé la pique envoyée à son père après, il ne l’a pas volée et elle ne s’est pas démontée. Malgré cela, leur relation est parfois très saine et on pourrait envier le fait d’avoir un père si gentil et à l’écoute sans qu’il ne juge.
Une chose que l’on peut noter avec ce film, c’est sa beauté visuelle, mais aussi son écriture. Tout se joue avec les paysages idylliques des vacances et la relation père/fille. En soi, il n’y a évidemment rien de révolutionnaire, mais c’est réussi en tout point. Comme pour "Call Me by Your Name", c’est le genre de film qui vous donne envie de partir en vacances et de siroter des cocktails. Cette envie est renforcée quand l’ambiance générale est bonne, les gens sont sympas ici. Concernant l’histoire, nous ne sommes pas dans un film explicite, mais beaucoup plus dans la suggestion et pour moi, ça fonctionne parfaitement. Grâce à l’écriture de Charlotte Wells, nous n’avons aucune difficulté à comprendre les enjeux et ce qu’il se passe réellement. D’autres cinéastes auraient choisi d’en parler frontalement sans subtilité. Ce n’est pas le cas ici et c’est l’une de ses forces. Certaines personnes pourraient être réfractaires au style du long-métrage et s’ennuyer avec son rythme et son montage. Personnellement, je ne me suis pas ennuyé une seule seconde et cela grâce à l’ambiance, l’écriture et le montage. Je ne sais pas si cela vient avec l’âge, mais j’aime de plus en plus les films qui prennent leur temps. À bon escient bien sûr, si une œuvre traîne en longueur uniquement pour rallonger la sauce, ça ne me plaira évidemment pas. Ici, le film prend son temps et ça concorde avec l’un de ses thèmes, un souvenir suspendu dans le temps.
"Aftersun" est le premier long-métrage de Wells, donc, que vaut sa réalisation ? L’une des premières choses que j’ai remarquées, c’est le jeu avec les reflets qu’elle semble apprécier. On voit cela dès la scène d’introduction et c’est parsemé ici et là tout au long de l’histoire. J’ai bien aimé ce parti pris. L’un des avantages qu’a eus la réalisatrice, c’est d’avoir des paysages aussi magnifiques et elle les sublimes. Il semble qu’elle ait tourné en pellicule, ce qui ajoute ce grain spécifique que j’adore et qui rend les panoramas et les images dans leur ensemble encore plus jolis. Ce n’est pas juste un caprice pour l’image, je pense sincèrement que la pellicule ajoute un plus à l’histoire et à l’immersion. J’ai déjà évoqué le montage plus haut et j’aime vraiment ce dernier. Certains choix sont faits lors de transitions et je trouve que ce sont des choix intelligents, notamment avec le plâtre, le plongeon ou encore celui de l’anniversaire (qui est assez dur). Charlotte Wells a l’intelligence de laisser sa caméra posée et d’effectuer de petits mouvements au besoin ou de simples zooms. C’est simple, mais efficace. Le film est loin d’être sur-découpé, elle laisse respirer ses plans et j’aime ça. On sous-estime la puissance d’un plan fixe, vraiment. Si c’est bien fait, comme ici, ça offre de jolies images avec des dialogues d’une telle douceur. J’adore. Parfois, on a l’impression de juste suivre les acteurs en vacances finalement. Surtout pendant les scènes où ils traînent. Ça épouse littéralement le côté "film de vacances sur un caméscope". Dis comme ça, ça pourrait être vu comme de la fainéantise, mais ce n’est pas du tout le cas. Le film porte une ambiance très mélancolique qui est parfaitement appuyée par les quelques chansons composées par Oliver Coates, qui sont plutôt jolies. Pour terminer, je suis content que ce ne soit pas parti sur une ambiance glauque à certains moments. D’autres films seraient tombés dans le piège et Dieu merci, ce n’est pas le cas ici. Même si le film n’est pas spécialement optimiste avec ses personnages, au moins il n’est pas pessimiste et ça fait du bien.
Voici mon avis sur "Aftersun", le premier film de Charlotte Wells. Ce n’est sûrement pas un film qui va vous mettre une claque, mais il a le mérite de proposer son histoire simplement, sans fioritures, et pour une première réalisation, c’est du très bon travail. Il y a un aspect contemplatif qui pourrait en rebuter certains, mais ce serait passer à côté d’une belle histoire, avec de beaux personnages, une jeune actrice incroyable (c’est son premier rôle !) et de belles images. J’aime ce genre de film qui ne se voit pas trop grand, qui évolue à leur échelle et reste fidèle à eux-mêmes, à leur ambiance, à leurs personnages et à leur histoire. Vive le cinéma indépendant, à l’image des jeux vidéo, c’est là où l’on trouve de vraies petites pépites, avec un vrai plaisir de découverte et une bouffée d’air frais.
(Rédigé le 01/04/2024)